Jour de marché

Jour de Marché au Niger

Dans l’un des pays les plus pauvres du monde, en plein cœur du Sahel, où la population des villages de brousse se nourrit quasi-exclusivement de foura, cette boule de mil mélangée à du lait, le marché de Malbaza représente une occasion unique pour les habitants de cette région rurale d’apporter un peu de diversité à leur alimentation quotidienne.

Chaque samedi, c’est jour de marché à Malbaza, regroupement administratif de villages situé à 470 kilomètres à l’Est de Niamey. Sur un rayon de 50 kilomètres, vit ici une population de 85 000 habitants, pour la plupart éleveurs et cultivateurs qui subsistent dans l’une des régions les plus arides du globe, le Sahel. Et ce marché représente pour eux un évènement tout particulier tout comme d’ailleurs dans de nombreux pays d’Afrique. Pas seulement un moyen d’améliorer leur quotidien alimentaire ou la possibilité de vendre ou d’acheter du bétail mais aussi et surtout un lieu d’échanges, de convivialité qui permet à ces peuples semi sédentaires de retrouver de la famille éloignée ou d'échanger des nouvelles.

En effet d' octobre à février, la saison froide appelée aussi hivernage, voit la fin de la monoculture du mil et donc du moyen de subsistance quasi exclusif des villageois tout au long de l'année. De nombreuses familles émigrent durant cette période au Nigeria voisin dont la frontière est à peine à une trentaine de kilomètres afin de pouvoir y pratiquer les cultures de contre-saison comme celles du manioc ou de la tomate. Le dépeuplement de ce district aride rend d’autant plus indispensable pour ceux qui restent la nécessité de trouver une alimentation minimum pour survivre.

Adossé à l’usine électrique qui alimente la cimenterie, seule industrie de la région, le marché est scindé en deux parties. D’un côté le marché au bétail où plus de 200 ânes, bovins, chameaux, moutons sont proposés à la vente chaque samedi. Ici un chameau se négocie pour 150 000 F CFA, un magnifique bélier lui peut être acquis pour 100 000 F CFA (150 Euros) tandis que le prix d'un zébu peut monter jusqu'à 300 000 F CFA (450 Euros), une somme considérable quand on sait que le revenu moyen ne dépasse pas 1000 F CFA par jour.

De nombreux éleveurs Nigérians viennent aussi se mêler aux différentes ethnies Nigériennes représentées sur le marché dans une ambiance bon enfant, ajoutant l’anglais aux nombreuses langues qui s'y mélangent comme le Tamasheq des Touaregs, le Français ou le Djerma des habitants de l'Ouest nigérien. Le Haoussa demeure cependant la langue la plus usitée dans la région, cette ethnie étant majoritairement représentée au centre et au sud du pays.

De l’autre côté du terrain vague, se dévoile peu à peu un marché d’étalage où se mêlent en vrac, légumes, objets d’artisanat Touareg et Haoussa, jeux de hasards, friandises, le long de petites allées balayées par un vent de poussière assez violent. On y trouve une grande variété de produits dont certains sont assez étonnants comme ces lits Touaregs du nom de l’ethnie nomade vivant au Sud et à l'Est du pays : 2 barres posées sur 4 pieds finement sculptés et peints de noir et blanc, en forment l’ossature principale sur laquelle viendra se poser une natte de paille. En parcourant les différents étals, de la boucherie en plein air à ceux des vendeuses de délicieuses galettes de mil, le visiteur dénichera peut être des livres relatifs au Coran, des manuels de prières décrivant les rituels d’ablution ou la vie du prophète Mahomet. Les bouquinistes sont souvent des « El Hadj », terme arabe désignant un fidèle revenu d’un pèlerinage à la Mecque, comme El Hadj Yakouba, ce vendeur parti 15 ans plus tôt pour ce voyage central dans la vie d’un fidèle musulman en Arabie Saoudite, et qui depuis fait commerce de ces ouvrages de marché en marché. Mais peut être préférera t’on négocier avec Amalous une œuvre d’art Touareg comme ces superbes poignards , ces tissus permettant de confectionner une taguelmoust, ce magnifique turban pouvant parfois dépasser les 10 mètres de long ou encore acheter une calebasse pour y recueillir le mil, une fois pilé. Une douleur dans le corps, une maladie quelconque ? Au choix le badaud pourra récupérer aussi bien des médicaments en vrac à l’origine plus que douteuse, que des produits de la pharmacopée traditionnelle allant de simples racines ou herbes de Tahachia pour les douleurs gastriques par exemple jusqu’aux gris-gris en peau de serpent, filtres d’amour réputés dans la région.

Après un arrêt chez Ali, pour acheter un cône de sel d’Agadez, si la faim tenaille les estomacs affamés, il est possible de s’orienter vers les nombreux commerçants de produits alimentaires : du piment (tonka) aux choux en passant par toutes sortes de condiments, légumes, sorgho, cacahuètes ou encore longues cannes à sucre, tout un éventail de la gastronomie nigérienne est ainsi représentée, foisonnement d’odeurs délicieuses et de couleurs bigarrées. Ces produits restent malgré tout exceptionnels, le foura, cette boule de mil mélangée à du lait constituant bien souvent l’unique repas dans les villages les plus enclavés. Pour finir, les petites douceurs ne sont pas en reste : il est ainsi vivement conseillé de déguster les beignets de waké (petits haricots) très riches en fer !

S’il vous reste encore quelques devises à échanger, vos pas vous guideront inévitablement vers le stand de Al Mustafa, le yan changi, l’agent de change, personnage pittoresque qui offre la possibilité d'échanger dans sa banque improvisée, des devises Nigérianes (le Néra) avec des Francs CFA ou tout simplement de faire de la monnaie. Sur chaque transaction, il prélèvera seulement 10% de la somme ce qui reste raisonnable dans un pays où l’unique guichet bancaire se trouve à  470 kms dans un grand hôtel de Niamey. Si l’envie vous prend de poser votre propre étalage, n’oubliez pas de vous acquitter au passage de la taxe de marché de 100 F CFA à Aziz, en charge du contrôle.

 

Un dernier arrêt pour admirer les posters de Cristiano Ronaldo, le footballeur de Manchester United, ou de Sanja Ali, la star du cinéma nigérian, et déjà il faut repartir le long des rues de Malbaza aux reflets ocre qui colorent les pistes de latérite cahoteuse… Le soir venu, les commerçants reprendront à leur tour, la route vers leurs villages enclavés construits en banco, ces briques en argile et paille de mil, emmenant leurs provisions à dos de chameaux ou d’ânes pour parcourir au pas lent, les dizaines de kilomètres qui les éloignent pendant une journée de leur quotidien immuable depuis des siècles…

Samuel BOUTTIER (mission janvier 2008)